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Le POCUS

Les bases

« La sonde d’échographie : le stéthoscope du XXIème sièce »

Depuis ses premiers pas en médecine humaine dans les années 80, l’échographie en contexte d’urgence est maintenant largement reconnue comme un examen incontournable. Initialement, son utilisation a été développée afin d’explorer par imagerie les patients trop instables pour quitter l’unité de soins intensifs pour faire une radio ou un scanner. Bien plus qu’une solution de secours, ou qu’un simple examen alliant rapidité d’acquisition et contention limitée, le POCUS (Point Of Care UltraSound ou échographie au chevet du patient) a également ses propres indications et supériorités face à des examens plus traditionnels comme la radiographie.

En médecine vétérinaire, son utilisation en contexte d’urgence remonte au début des années 2000. Cet examen non invasif, rapide et nécessitant une contention minimale, s’est rapidement imposé là-aussi comme un examen de choix dans les unités d’urgences et soins intensifs vétérinaires.

Quelques définitions

L’échographie en urgence (qu’on appellera POCUS dans la suite de ce cours) a connu de nombreuses évolutions, notamment dans sa terminologie. Les techniques utilisées en médecine vétérinaire découlent le plus souvent de celles utilisées en médecine humaine, évoluant par la même occasion dans la même direction.
Le premier examen POCUS ayant fait l’objet de publications a été l’examen FAST. L’examen FAST consistait en l’évaluation par échographie au chevet d’un patient ayant subi un traumatisme, à la recherche de possibles complications liées au trauma (épanchement abdominal, pneumothorax, épanchement pleural, contusions pulmonaires notamment). Par la suite, la pratique de l’examen FAST a été élargi aux patients instables cardio-vasculairement ou respiratoirement et il est actuellement conseillé dans les contexte suivants : trauma, triage, monitoring.

Au fur et à mesure de l’évolution des pratiques, de plus en plus de pathologies ont pu être diagnostiquées grâce au POCUS. De nouveaux protocoles ont donc pu être développés : par la suite, nous parlerons essentiellement des techniques FAST et VetBLUE. Les travaux sur ces techniques sont en grande partie le fruit du travail des Drs Lisciandro et Boysen, et ont donné lieu à des protocoles standardisés et validés scientifiquement.

Pour résumer, ci-dessous les terminologies liées à l’utilisation de l’échographie en urgence et les différents protocoles :

POCUS = Point Of Care UltraSound ou “échographie au chevet du patient”
Il s’agit d’un terme générique qui regroupe les différentes techniques d’échographie en urgence (a-FAST, t-FAST, VetBLUE, et d’autres dont on ne parlera pas ici : e-FAST, FAST-ABCDE)

FAST = Focused Assesment Sonography for Trauma qui donnerait en français “échographie d’évaluation ciblée en contexte traumatique”
On parlera plus précisément de :
a-FAST = abdominal FAST
Il s’agit d’une FAST abdominale suivant 4 cadrants définis.
t-FAST = thoracic FAST
Il s’agissait initialement d’une FAST recherchant des anomalies pulmonaires et cardiaques. Dans la nouvelle nomenclature incluant le protocole VetBLUE, la t-FAST correspond à une FAST cardiaque.

L’exploration d’anomalies pulmonaires fait l’objet de son propre protocole :
VetBLUE = Veterinary Bedside Lung Ultrasound Exam ou “échographie pulmonaire au chevet de l’animal”

GlobalFAST = t-FAST + a-FAST + VetBLUE

Pour chacun de ces examens (t-FAST, a-FAST et VetBLUE) il existe des protocoles standardisés validés scientifiquement.

En urgence, c’est primordial de suivre une approche et une méthode systématiques et standardisées afin d’éviter les erreurs ou les raccourcis, de gagner du temps, et d’augmenter la précision de ses examens (notamment lorsqu’on fait un suivi POCUS sur un même animal).

Considérations

Le POCUS vétérinaire peut être défini comme un examen échographique orienté vers un but. Il est réalisé par un clinicien au chevet du patient dans le but de répondre à une question diagnostique spécifique ou de guider la réalisation d’une procédure invasive.

Le POCUS : règles générales

Pour bien commencer !

Au moment où l’examen POCUS est envisagé, on peut déjà vérifier que l’échographe est allumé ou le lancer le cas échéant. Certains sont assez lents au démarrage, et on ne voudrait pas se retrouver à attendre 5 minutes avec notre chat dyspnéique sur la table !

L’animal sera placé avec la tête pointant du côté de l’échographe. Le but étant qu’il soit dans notre champ de vision pendant toute la durée de l’examen afin d’éviter les morsures/griffures et de pouvoir observer une quelconque dégradation de son état.

Préparation et positionnement de l'animal

L’un des maîtres-mots de l’examen POCUS est d’utiliser le minimum de contention possible. L’animal sera donc placé comme il est le plus à l’aise : ce peut être debout, en décubitus sternal ou latéral.
Pour des animaux instables ou potentiellement instables, le décubitus dorsal est à proscrire !
On appliquera un minimum de contrainte, laissant l’animal relativement libre de ses mouvements (tête notamment).

Le plus souvent, aucune tonte ne sera nécessaire ! Pour ma part, il m’arrive de tondre légèrement (carré de 4 cm x 4 cm sur chaque hémithorax) afin de visualiser le cœur des gros chiens à poils épais.
On utilisera de l’alcool ou du gel hydroalcoolique pour faciliter l’obtention des images échographiques. Ce-dernier serait moins hypothermisant.

Utilisation de l'échographe

La sonde microconvexe est tout à fait adaptée pour l’ensemble de l’examen FAST (t-FAST, a-FAST et VetBLUE = GlobalFAST). Les pré-réglages du Mode Abdominal conviennent également pour la GlobalFAST : même pour observer le cœur à la t-FAST, il n’est pas nécessaire de changer de mode.

Les "erreurs" courantes

ne pas être maître de ses mains : l’une d’elle sera à l’aise pour manipuler la sonde, l’autre pour palper les structures externes afin de positionner au mieux la sonde

ne pas maintenir l’orientation standard des images échos : “tête à gauche, queue à droite” pour les images en coupe longitudinale

ne pas garder le contact entre la sonde et la peau de l’animal ou ne pas se rendre compte que la sonde écho a échoué très loin de la zone d’intérêt

ne pas reconnaître les principaux artéfacts ⇒ un p’tit tour ici si besoin de se raffraîchir les idées

L'examen a-FAST

Indications

Question Type de réponse attendue
Le patient a-t-il du liquide libre dans l’abdomen ?
Oui / Non
Le patient a-t-il du liquide libre dans l’espace rétro-péritonéal ?
Oui / Non
Les principaux organes échographiés présentent-ils des modifications notables ?
Oui / Non
Le patient présente-t-il de l’épanchement pleural ? péricardique ? (vue diaphragmatico-hépatique)
Oui / Non
Le patient présente-t-il des anomalies pulmonaires le long de l’interface diaphragme/poumon ?
Oui / Non
Quel est son statut volumique (hypovolémique, hypervolémique) ?
Anormal / sans anomalie
Voilà assez largement les réponses auxquelles on peut répondre grâce à l’a-FAST !
Si on débute, on apprendra à rechercher les réponses à ces différentes questions progressivement dans le temps. D’abord, on apprendre à identifier le liquide libre dans l’abdomen, puis à reconnaître les principaux organes et leurs anomalies, etc.

Standardiser l'a-FAST : les 4 fenêtres

Suivre une méthode systématique, ça commence par appliquer un protocole standardisé.
Pour l’a-FAST, ça consiste à observer alternativement 4 fenêtres abdominales afin de rechercher la présence d’épanchement et d’anomalie organique :

diaphragmatico-hépatique (DH)
spléno-rénale (SR)
cysto-colique (CC)
hépato-rénale (HR)

a-FAST : les 4 fenêtres échographiques et leur transposition radiographique. Extrait de Focused Ultrasound Techniques for the Small Animal Practitionner, Lisciandro 2014

On prendra l’habitude de toujours procéder dans le même sens (en partant de la fenêtre diaphragmatico-hépatique, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre par exemple) et de balayer longitudinalement et transversalement sur chacune des fenêtres.

Dans l’idéal, les résultats seront rapportés sur un document-type (voir à la fin du cours pour des modèles). Un épanchement abdominal sera gradé (modèle de Lisciandro : AFS de 0 à 4) permettant un monitoring objectif.

L'examen t-FAST

Indications

  trauma
  dyspnée
  abdomen aigu
certains cas de fièvre d’origine non déterminée avec les examens de base (bilan sanguin, radiographie thoracique)
triage des animaux faibles, qui ont syncopé ou encore qui ont des signes peu spécifiques (“pas bien”)
monitoring de patients à risque de pneumothorax, épanchement pleural ou péricardique, œdème pulmonaire (ex. : chirurgie thoracique, CPAF pulmonaire, perfusion d’un patient cardiaque, etc)

De nombreux animaux reçus en urgence, ou des animaux hospitalisés, pourront bénéficier d’une t-FAST.
Ci-dessous, les questions auxquelles cet examen est en mesure de répondre :

Question Type de réponse attendue
Le patient a-t-il du liquide libre dans l’espace pleural ?
Oui / Non
Le patient a-t-il un épanchement péricardique ?
Oui / Non
Si “oui” à la question précédente, l’animal est-il en tamponnade ?
Oui / Non
Le patient a-t-il un pneumothorax ?
Oui / Non
Le patient présente-t-il des signes de dysfonction systolique ?
Oui / Non
Le patient présente-t-il des signes de dysfonction/insuffisance/surcharge droite ?
Oui / Non
Le patient présente-t-il des signes de dysfonction/insuffisance/surcharge gauche ?
Oui / Non
Une anomalie intra-cardiaque est-elle observable ?
Oui / Non
Quel est le statut volumique du patient ?
Normal / Anormal (hypovolémie, surcharge)
L’animal présente-t-il une anomalie pulmonaire notable ?
Oui / Non

Pas besoin de changer les réglages de l'échographe !

Pour réaliser une t-FAST interprétable, il n’est pas nécessaire de passer en pré-réglage cardiaque. Le mode abdominal convient tout à fait.

Standardiser la t-FAST : les 5 fenêtres

Suivre une méthode systématique, ça commence par appliquer un protocole standardisé.
Avec la t-FAST, on va explorer les deux hémithorax. Deux fenêtres seront observée sur chacun d’eux, et une vue déjà connue vient compléter l’examen :

Chest Tube Site (CTS) = la fenêtre dorsale, qui correspondrait à l’emplacement d’un drain thoracique (“chest tube”)
PeriCardial Site (PCS) = la fenêtre péricardique
Diaphragmatico-hépatique (DH) : c’est la même fenêtre que celle de l’a-FAST !

On l’a vu plus haut : la t-FAST englobait initialement l’exploration pulmonaire, pleurale et cardiaque. Avec l’amélioration des techniques, l’exploration pulmonaire a maintenant son propre protocole : le VetBLUE. Ainsi, la t-FAST consiste essentiellement en l’exploration cardiaque, tout en fournissant quelques informations sur le compartiment pulmonaire et pleural.

t-FAST : les 5 fenêtres échographiques et leur correspondance sur animal debout. Extrait de Focused Ultrasound Techniques for the Small Animal Practitionner, Lisciandro 2014.

Voyons un peu plus en détails chacune des fenêtres échographiques :

Fenêtre CTS (Chest Tube Site)

Objectif : identifier la présence d’un pneumothorax en observant l’absence de signe de glissement (le “glide-sign”). Le glide-sign correspond au glissement physiologique entre les plèvres pariétale et viscérale en rythme avec la respiration. En présence d’air (ou de liquide) dans l’espace pleural, le glide-sign sera absent. Pour un animal en décubitus sternal ou debout, le pneumothorax sera généralement observé au niveau de la fenêtre CTS (puisque physiologiquement, l’air monte). Pour un animal en décubitus latéral, on cherchera le glide-sign au point le plus haut du thorax.

Fenêtre PCS (PeriCardial Site)

Objectif : diagnostiquer un épanchement pleural ou péricardique ; déterminer si l’animal est en tamponnade ; évaluer la contractilité cardiaque, la taille du ventricule et de l’atrium gauche ; évaluer le cœur droit.

L’examen cardiaque de la t-FAST est plus compliqué à maîtriser ! Néanmoins, il y a 2 coupes que je trouve assez simples (avec de l’entraînement malgré tout) à obtenir et qui peuvent fournir des informations précieuses :

la coupe champignon (coupe parasternale droite petit axe, qui coupe en transve les deux ventricules près de l’apex) qui permet d’évaluer la contractilité cardiaque

la coupe Mercedes Benz (aussi une coupe parasternale droite petit axe, qui coupe notamment l’atrium gauche et l’aorte en transversal) qui permet d’évaluer le rapport AG/Ao et donc rechercher une décompensation gauche

Fenêtre DH (Diaphragmatico-Hépatique)

C’est la plus pratique pour observer un épanchement pleural et péricardique sans être gêné par l’air dans les poumons ! Elle est également utile pour évaluer la veine cave caudale (taille et collapsibilité).

La t-FAST et en particulier les vues cardiaques demandent beaucoup d’entraînement ! Ne pas hésiter à pratiquer régulièrement et, surtout, ne pas baisser les bras !

L'examen VetBLUE

Initialement, l’exploration pulmonaire était inclue dans la t-FAST. Le VetBLUE (Veterinary Bedside Lung Ultrasound Exam) a fait son apparition en 2010, par mimétisme avec le BLUE protocol en humaine.
L’échographie pulmonaire est très sensible pour la détection des pathologies pulmonaires superficielles, parfois plus que la radiographie ! C’est le cas pour l’œdème pulmonaire, les contusions et les nodules. Là encore, il se veut un examen rapide, réalisable au chevet du patient et avec une moindre contention.

Indications

exploration de troubles respiratoires
  monitoring de patients à risque de complications respiratoires
suivi de patients hospitalisés avec pathologie respiratoire (œdème pulmonaire, contusions, bronchopneumonie, etc)
suivi de patients hospitalisés à risque de surcharge

L'examen VetBLUE

Suivre une méthode systématique, ça commence par appliquer un protocole standardisé.
Avec le VetBLUE, on va explorer l’ensemble des aires pulmonaires, sur chaque hémithorax. Comme pour la fenêtre CTS de la t-FAST, la sonde d’écho sera placée entre deux côtes, perpendiculairement à l’axe des côtes et avec un angle de 90°.
De chaque côté, on évaluera alternativement les 4 régions pulmonaires suivantes : caudo-dorsale, péri-hilaire, moyenne, crâniale.

VetBLUE : les 4 fenêtres explorant l'ensemble des aires pulmonaires. Extrait de Focused Ultrasound Techniques for the Small Animal Practitionner, Lisciandro 2014.

Le VetBLUE définit 6 signes échographiques pulmonaires :

le “poumon sec“, c’est l’aspect normal du poumon à l’examen VetBLUE : visualisation de a-lines
Tous les autres aspects pulmonaires échographiques suivants sont anormaux :
le “poumon humide” : visualisation de b-lines (lignes hyperéchogènes partant de la ligne pleurale jusqu’en bas de l’image écho et bougeant en rythme avec la respiration)
le “poumon déchiqueté(shred sign) : irrégularité et perte de continuité linéaire de la ligne pleurale, poumon consolidé, bronchogrammes aériques hyperéchogènes
le “poumon tissulaire(tissue sign) : consolidation plus sévère que le shred sign car absence de zones aériques (pas de bronchogramme aérique) ⇒ le poumon ressemble à du foie
le “poumon nodulaire(nodule sign) : masse/nodule organisé le long de la ligne pleurale, qui bouge en rythme avec la respiration
le “signe du triangle(wedge sign) : zone pulmonaire non vascularisée en forme de triangle ou encore de part de pizza

Les 6 signes échographiques pulmonaires à l'examen VetbLUE. Extrait de Focused Ultrasound Techniques for the Small Animal Practitionner, Lisciandro 2014.

L’examen VetBLUE peut faire peur au premier coup d’œil, mais en réalité il peut rapidement être maîtrisé.
Mon conseil : commencer par reconnaître l’aspect normal du poumon (ligne pleurale lisse, hyperéchogène avec les a-lines et le glissement pleural). Ensuite, apprendre à reconnaître un poumon humide : c’est la modification la plus fréquente du VetBLUE en pratique. On la voit notamment lors d’œdème pulmonaire, de contusions pulmonaires (trèèèès nombreux trauma), de bronchopneumonie ! Ensuite, à force d’entraînement, on se rendra compte quand l’aspect pulmonaire est anormal mais qu’il ne s’agit pas de b-lines !

Expliquer le POCUS au propriétaire

Le POCUS n’est pas forcément un examen très connu/reconnu en pratique hors praticiens urgentistes. Pourtant, utilisé pour les bonnes raisons et avec les méthodes reconnues, c’est une mine d’information obtenue en quelques minutes.

Ce qu’il ne faut pas dire : que c’est une « petite écho » ou une « écho vite fait ». Noooon ! Le POCUS est un examen à part entière, avec ses indications et ses limites mais il a clairement sa place à lui !

Le discours tenu au propriétaire dépendra du contexte (de la raison qui nous pousse à faire le POCUS) mais ce qui reste vrai dans tous les cas c’est qu’il s’agit :

d’un examen non invasif et obtenu sans radiation
réalisable au chevet du patient (= sans le déplacer dans une autre salle avec les risques que ça incombe : perte de temps, inconfort dû à la manipulation, stress et qui augmentent les chances de décompensation)
dans un temps très réduit
et permettant d’obtenir des réponses pratiques à des questions cliniques précises (exemple : « ce patient a-t-il un œdème pulmonaire cardiogénique ? »)

On expliquera au cas par cas son intérêt (ce que l’on recherche ou ce qu’on veut exclure) et ses limites. Le POCUS ne remplace pas une échographie complète (abdominale ou cardiaque) ou un scanner et dans certains cas il devra être associé à l’un de ces examens d’imagerie. Néanmoins, le POCUS nous aura permis d’écarter certaines hypothèses et de participer à la prise en charge initiale et la stabilisation du patient.
On peut dire « Je ne suis pas radiologue ni cardiologue, mais en tant qu’urgentiste je suis entraîné/e à reconnaître de nombreuses anomalies basiques des principaux organes comme le foie, la rate, les poumons ».

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